Dans mon village d'enfance, il y avait quelques terrains que mes grands-parents avaient, entre autres, les Quartillons, c'était le nom de ce quartier du village.
C'était l'endroit où mon grand père avait des lapins, des poules, des canards, un petit jardin derrière tout ça, et en un seul bâtiment se tenaient, un petit hangar pour garer le motoculteur et sa remorque, une cave qui permettait surtout de stocker les patates, une autre où il y avait un peu de bazar et au dessus un grenier où on stockait les cagettes et où on pouvait faire sécher les ails. Il y avait une échelle bien droite en fer couleur rouille pour monter là haut. C'est là que j'ai appris qu'on pouvait garder des pommes de terre pendant environ un an en les saupoudrant de poudre anti germination. Il y avait aussi un silo à grain fait d'une tôle enroulée et rivetée posée sur des parpaings et une grande planche carrée. J'ai nettoyé ça une ou deux fois, mon grand père me faisait descendre dedans, c'était irrespirable et il y avait plein de toiles d'araignées à enlever avant de remettre du grain.
On donnait à manger aussi aux lapins, de la luzerne et un peu d'eau, il fallait faire attention en ouvrant la cage pour qu'ils ne se sauvent pas. Le terrain des poules était juste avant le hangar entre le mur du hangar et en face d'un autre mur d'une maison en ruine et encadré de deux grillages. C'était boueux et mon grand père, quand j'étais tout petit, rapportait des sacs poubelles de la cafétéria de Cora, où il travaillait en temps que vigil à la fin de sa vie de travail, et qui étaient bourrés de nourriture et de sachets usés de moutarde et de ketchup. Donc le terrain des poules était tartiné de boue et de sachets plastiques. Il n'y avait pas vraiment d'écologie en ce temps-là.
Dans le dernier terrain, la maison en ruine qu'il a récupéré plus tard ou qu'il a louée, je n'ai jamais su, on mettait aussi des canards des fois. Il y avait un angle droit de deux murs en pierre, et l'autre angle était fait de deux grillages. Bon, c'était aussi interchangeable tout ça, les poules par ci, les canards par là, ça dépendait.
Bien entendu tous ces animaux là c'était pour les manger. Je crois que mon grand-père s'est mis à faire tout ça presque arrivé à la retraite. Et c'était un chasseur aussi avec son fils, mon oncle.
Dans le jardin, je me suis fait les muscles, il fallait passer le motoculteur. On semait les carottes, les salades, le persil, les pâtissons, les petits pois, les haricots...
On avait aussi des voisins de jardin. Mon grand-père criait souvent aussi, et pas mal sur moi : "mon prénom suivi de nom de dieu".
Mr Martin, un des voisins, lui disait : "Mais tu vas arrêter de l'engueuler ce pauvre gamin?" On labourait, on sarclait, on bêchait, j'en faisais des bricoles, mais j'adorais ça, j'étais avec mon grand-père. Et j'en ai fait du motoculteur, je le conduisais tout seul, avec ou sans remorque, j'étais fier.
Une petite anecdote sur les canards.
Un jour nous sommes allées aux Quartillons pour attraper un canard qui avait avalé une ficelle, il fallait lui enlever du bec, ça sortait à moitié. Mon grand père me dit :
- Va l'attraper !
- Mais je fais comment?
- Ben tu lui cours après !
Bon, je rentre dans la cage et je commence à lui courir après les bras tendus. Et là le canard se sauve devant moi en tournant dans le terrain grillagé et en courant, ses pattes font gicler la boue et la merde de canard pile poil sur mon visage, et moi je courais en haletant bien sûr, la bouche ouverte. Je me suis retrouvé avec l'odeur de fiente sur le visage et une envie de vomir que je n'ai pas pu retenir du tout !! Et plaf, le terrain était un peu plus sale. Mon grand-père était mort de rire.
Finalement je ne sais même plus si je l'ai attrapé pour enlever cette ficelle. Plus tard à la maison, quand mon grand-père a raconté l'histoire à ma grand-mère, elle a bien rigolé aussi.